MASH Design porte un regard nouveau sur la porcelaine de Limoges. Et ouvre grandes les portes de son atelier de prototypage autour de la porcelaine pour créer ensemble un avenir lumineux à cet or blanc. Rencontre colorée et passionnante avec Marie-Anne Saint-Hubert dans son atelier chaleureux niché au cœur de Limoges.
Marie-Anne : qui êtes-vous ?
Je suis une designer de 35 ans et j’ai monté mon atelier de recherche autour de la porcelaine en 2018, à Limoges : MASH Design.
Vous nous racontez votre parcours ?
J’ai grandi à Cognac en Charente. Après mon bac scientifique et ma prépa d’Art à Paris, j’ai étudié aux Beaux-Arts de Bordeaux où je me suis spécialisée en design d’objet et d’espace. J’ai ensuite fait un Erasmus au Politecnico de Milan, en design industriel et en mode. Puis, je suis revenue aux Beaux-Arts de Bordeaux pour passer mon Master. Pendant ces années d’études, j’ai fait beaucoup de stages dans des manufactures de porcelaine et des manufactures de chaussures.
Et donc, on en arrive à la marque éponyme « MASH Design » telle quelle est aujourd’hui (MASH étant vos initiales). Quelle est votre empreinte sur la marque et qu’aimez-vous lui donner (style, valeurs, culture) ?
Mon ambition, ma vision, c’est de bien prendre le temps, dès le début du projet, de poser des intentions sur l’objet, de définir son caractère. C’est un aller-retour entre des maquettes et des prototypes ; et ce sont des intentions plutôt toutes simples, sans prétention, de l’ordre du sensible. L’idée est de créer un nouvel objet, non pas pour créer une énième assiette, mais pour créer une nouvelle expérience, un nouveau regard, un nouveau point de vue sur cet objet.
Au-delà du caractère de l’objet, j’aime aussi travailler les couleurs. Au tout début, je ne travaillais que le blanc car je n’étais pas à l’aise avec les couleurs, c’était beaucoup de contraintes à gérer. Mais en travaillant dans l’atelier d’Armelle Benoit qui est spécialisée dans la couleur, tout un monde s’est ouvert à moi.
Donc aujourd’hui, je suis plutôt très sensible à la couleur et je m’y intéresse beaucoup. Je travaille surtout des gammes de dégradés, de bleus, de roses. La porcelaine est blanche et ça me plaisait assez de faire des pâtes colorées comme les porcelaines anglaises, et de venir un peu « tâcher » la porcelaine blanche de Limoges.
Quel est votre regard sur la marque « MASH Design » ? Quelles sont vos envies et ambitions pour elle ?
J’espère que l’atelier expérimental de MASH Design va apporter un souffle nouveau à la porcelaine de Limoges et déplacer sa connotation « vieillotte » vers quelque chose de plus contemporain, de plus cool, en phase avec la société actuelle. J’aimerais que cet espace donne lieu à des collaborations avec des gens qui n’ont rien à voir avec le milieu de la porcelaine pour ouvrir d’autres horizons.
Quel est votre produit « chouchou », celui dont vous êtes le plus fier ?
La mangeoire à oiseaux. C’est l’objet le plus simple que j’ai dessiné et je ne pensais pas que les oiseaux viendraient autant jouer avec. Ils sautent de branche en branche, on dirait un petit cirque, j’adore. Et j’adore voir l’évolution de cet objet qui ne m’appartient plus. Les oiseaux s’en emparent vraiment, ça fonctionne bien.
Quel a été le cheminement jusqu’à la commercialisation de ce produit-fierté ?
J’ai observé ! L’hiver, j’adore mettre des boules de graisse avec des graines pour les oiseaux. Avant, je coupais une bouteille en deux, je mettais la boule de graisse à l’intérieur, et je l’accrochais dans la cour. Mais au fur et à mesure que l’hiver passait, la bouteille vieillissait mal, ça faisait un peu « cracra ». Et puis je me rendais compte que la boule de graisse était beaucoup plus grignotée quand il y avait une branche sous la bouteille, un endroit où l’oiseau puisse se poser pour atteindre la boule. J’ai donc eu envie de dessiner quelque chose de tout simple, pratique pour les oiseaux, et plus propre. De là est née ma mangeoire à oiseaux.
Et quel est votre prochain produit-fierté rêvé, celui sur lequel vous travaillez ou travaillerez bientôt ?
Le porte-manteau ! Mais je n’en dis pas plus !
Nous parlons de fierté, mais au-delà de ce produit, de votre travail peut-être, quelle est votre plus grande fierté ?
Ma plus grande fierté c’est de m’être accrochée à ce projet un peu fou et à ce métier. J’ai été très angoissée. J’avais peur que ce métier ne me permette pas d’être autonome et d’en vivre, que ce ne soit pas une filière porteuse et stable. Et je suis assez fière d’avoir toujours continué à travailler, d’avoir toujours cru en ce métier et de pouvoir en vivre aujourd’hui.
Vous produisez du Beau. Quel est votre rapport au beau, à la décoration ?
C’est une question difficile ! Je pense que je suis attachée au beau depuis mon enfance. J’ai beaucoup été élevée chez mes grands-parents, j’y ai passé énormément de temps. Ma grand-mère adorait la gazette Drouot, un magazine d’antiquités, et je passais beaucoup de temps à la regarder enfant. J’y ai vu tout un abécédaire d’objets, de nombreuses familles d’objets, donc mon œil a été assez éduqué à l’objet. C’était un intérieur très chargé avec beaucoup de tapisseries, beaucoup de motifs, beaucoup de statuettes en céramique. Mon grand-père collectionnait par exemple les mères à l’enfant en céramique. Ce plaisir qu’avaient mes grands-parents à chiner, à collectionner, à aimer les objets, m’a laissé des souvenirs d’enfance forts. Ça m’a éduqué et sensibilisé l’œil.
Quelles sont vos sources d’inspirations, les lieux, les courants, les personnes qui modèlent votre travail ?
Clairement les personnes et les courants qui me parlent sont les designers italiens. Le courant Memphis m’inspire beaucoup. Il y a aussi d’autres designers italiens comme Andrea Branzi ou Bruno Munari dont j’adore le travail et qui m’ont ouvert un vrai champ des possibles.
Un souvenir de votre enfance qui a façonné votre attrait pour le beau, la décoration, l’artisanat ?
Mon souvenir d’enfance, ce sont vraiment les salles de vente, les antiquités. Et plus récemment, ce sont tous les stages que j’ai faits en manufacture. Un des plus marquants est celui chez Royal Limoges, la plus ancienne manufacture de Limoges. Le lieu est hors du temps, on a l’impression que l’usine n’a pas bougé, qu’on est resté en dix-neuf-cent. Les gestes, la transmission des gestes et tout le savoir-faire sont restés intacts. J’ai trouvé une beauté, une très grande beauté, dans la manière de façonner et de travailler. C’est grâce à ce stage que j’ai eu un énorme coup de foudre pour la porcelaine, c’est un matériau génial et passionnant. Et c’est grâce à ce stage que j’ai découvert Limoges. J’ai vraiment eu l’impression que Limoges m’ouvrait une partie de ses trésors. Ce n’est pas si évident quand on traverse Limoges les premières fois, c’est difficile d’imaginer qu’il y a des lieux magiques comme Royal Limoges avec des trésors industriels et de fabrication, et pourtant …
Et du coup, c’est comment chez vous ?
Je suis très sensible au design donc il y a quelques objets design qui se mélangent à des objets vintage et à de la porcelaine de Limoges. Et pas mal de jouets d’enfant. Pas mal de couleurs. J’ai une cour que je rêve encore plus verte, encore plus jungle, et un atelier collé à la maison.
Quel est votre dernier achat déco ?
C’est une lampe Memphis de Martine Bedin [ndlr : la lampe multicolore Super à re(découvrir) ici]. Et j’ai aussi acheté la semaine dernière trois assiettes de la céramiste Carine Tarin, bordelaise.
Et votre prochain, demain ou dans 10 ans ?
Je n’en sais rien. On verra bien !
Je crois beaucoup à l’entraide entre créateurs : vous nous recommandez des artisans ou entreprises qui valorisent le savoir-faire français et que vous aimez ?
J’encourage à aller voir le travail de Carine Tarin à Bordeaux. A Limoges, la manufacture Mérigous fait aussi de très belles choses et est labelisée « Entreprises du Patrimoine Vivant ».
Et puis je soutiens ce courant de designers et d’artistes qui fuient les grandes villes et ouvrent des ateliers comme les miens à la campagne ou dans des plus petites villes pour gagner en espace et pour pouvoir gérer toutes les étapes de fabrication. Je pense par exemple à un super ami, Kealan Lambert, qui a fait les Beaux-Arts de Paris et qui a ouvert Le 47 Résidence dans l’Yonne. On a tendance à croire que c’est dans les grandes villes que l’on peut le plus percer, mais on gagne en espace et le réseau est plus simple dans les petites ou moyennes villes. Et je trouve ça assez chouette de venir redynamiser les petites villes.
Un secret d’alcôve à nous partager pour conclure ?
Je viens de quitter mon poste d’enseignante aux Beaux-Arts de Bordeaux et j’ai envie de donner une grosse impulsion à MASH Design.
Crédits photos : Marie-Anne Saint-Hubert
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