A la croisée du monde industriel et de la céramique artisanale, le travail de Jonathan Reynaud propose une nouvelle approche tout en finesse de la céramique contemporaine. Modulables, sobres ou poétiques, ses pièces doucement colorées émeuvent et interrogent. Rencontre avec le discret et inspirant Jonathan Reynaud, céramiste à La Rochelle.
Jonathan Reynaud : qui êtes-vous ?
Jonathan Reynaud, 30 ans, céramiste depuis 2015.
Vous nous racontez votre parcours ?
Attiré par les métiers de création, par l’art et le design, je me suis orienté au début de mes études vers une MANAA (Mise à Niveau en Arts Appliqués). Je découvre alors le monde des arts appliqués, la réflexion sur la forme et la fonction de tout ce qui nous entoure.
Je poursuis mon parcours dans le design de produits, j’apprends la conception industrielle, le développement de produits. De ces études j’apprécie le travail de la créativité, l’inventivité.
Mais le travail manuel me manque. Je m’oriente alors vers un DMA (Diplôme des Métiers d’Art) en céramique artisanale où je découvre le savoir-faire de céramiste. C’est la rencontre avec la matière qui me manquait, la parfaite combinaison du travail de conception de produits et du travail manuel.
Je finis mes études à 24 ans, et pendant trois ans, j’intègre des résidences d’artistes dans le sud de la France pour développer mes créations céramiques.
Entre 2018 et 2022, je m’installe à mon compte à Vallauris (06), ville renommée pour la céramique. Puis changement de décor cette année : je m’installe à La Rochelle (17).
Et donc, on en arrive à la marque éponyme Jonathan Reynaud telle quelle est aujourd'hui. Quelle est votre empreinte sur la marque ? Qu'aimez-vous lui donner (style, valeurs, culture) ?
J’ai une influence assez industrielle. Ça n’a jamais été intentionnel et ce n’était pas quelque chose que je recherchais, mais c’est vrai que mon passé de designer produit a plutôt orienté mon travail dans ce sens. La façon dont c’est fabriqué m’importe beaucoup. J’aime la trace du façonnage à moitié industriel à moitié manuel qui s’équilibre. J’aime avoir quelque chose qui est plutôt industriel tout en lui donnant un côté un peu plus doux, un peu plus abordable. Il y a par exemple quelque chose de très anguleux, très carré dans Les Facettes. J’essaie de l’adoucir, de contrebalancer ça avec des couleurs plutôt douces et un émail un peu satiné. De la même manière, dans la gamme Les Structures, le processus de fabrication donne l’identité de la pièce. C’est donc assez important pour moi que le process de fabrication définisse les contours et la personnalité de mes pièces.
Les Curieux, petits personnages stylisés et très expressifs, sont un de vos produits-phares.
C'est d'ailleurs grâce à eux que je vous ai découvert il y a un an. Je les ai bien sûr adoptés et ils me fascinent et m'émerveillent jour après jour : et vous, est-ce aussi votre produit "chouchou", celui dont vous êtes le plus fier ? Ou y en a-t-il un autre ?
A l’atelier, Les Curieux ont une place particulière, un peu comme mes »chouchous » peut-être oui. Dans mon travail très rigoureux, ils sont la touche poétique et sensible. Ce n’est peut-être pas le produit qui me rend le plus fier, mais je prends toujours autant de plaisir à les fabriquer et à voir les gens se les approprier.
Quel a été le cheminement jusqu'à la commercialisation de ce produit-fierté ?
Les Curieux m’accompagnent depuis le début de mon histoire avec la céramique. J’ai commencé à les dessiner juste avant ma formation en céramique. Les Curieux sont nés pour mon projet personnel de diplôme de DMA en céramique et je n’avais pas anticipé l’engouement qu’il y aurait autour de ces petits personnages. A la sortie de mes études, j’ai pu les présenter au public et les retours ont été immédiats. Je reste encore étonné de l’attachement que suscitent ces petits êtres. A l’origine, Les Curieux sont la représentation de la curiosité humaine. Très épurés, il est facile de s’identifier à eux.
Et quel est votre prochain produit-fierté rêvé, celui sur lequel vous travaillez ou travaillerez bientôt ?
Le produit dont je suis le plus fier entre guillemets, ce sont quand même Les Structures. C’est un projet qui s’est construit sur plusieurs années. Créer le système de moulage modulaire a été très long. Ne serait-ce que pour mettre le principe au point, j’ai passé au moins un an de dessin sur ordinateur. Ensuite, j’ai fait une résidence de 10 mois pour mettre au point le produit. C’est donc le projet qui m’a pris le plus de temps. C’est aussi le projet que je prends le plus de plaisir à fabriquer. Je vais donc poursuivre mes recherches avec Les Structures.
Nous parlons de fierté, mais au-delà de ce produit, de votre travail peut-être, quelle est votre plus grande fierté ?
J’ai un peu du mal avec cette notion de fierté, je ne sais pas si on peut être fier de quelque chose. Je crois que j’ai du mal à être fier de quelque chose. Sans enlever de la valeur à ce que je fais, je n’en ai jamais été « fier ».
Vous produisez du Beau. Quel est votre rapport au beau, à la décoration ?
J’ai toujours apprécié ce qui assez minimaliste. Pour moi, arriver à produire quelque chose de beau, c’est quand on arrive à le faire avec le moins de choses possibles.
Quelles sont vos sources d'inspirations, les lieux, les courants, les personnes qui modèlent votre travail ?
J’ai toujours été inspiré par les courants modernistes, les années 30, l’école allemande du Bauhaus, tous ces courants où la fonction dictait la forme. Je m’y retrouve assez quand je dis que c’est le process qui influe sur la forme. Ces courants m’influencent beaucoup et j’espère que mes propositions les mettent un peu au goût du jour tout en y intégrant un aspect artisanal.
Un souvenir de votre enfance qui a façonné votre attrait pour le beau, la décoration, l'artisanat ?
De mon enfance (et adolescence), je me souviens de mon attrait pour tous les jeux de construction. Je passais des journées entières à construire et déconstruire, prenant plaisir à ne pas suivre les instructions et modèles préétablis, pour ne laisser parler que mon imagination. Ce sont tous ces jeux qui ont façonné mon goût pour le travail manuel, avec cette satisfaction du travail accompli de ses propres mains.
Et du coup, c'est comment chez vous ?
(Rires) Ça ne fait pas longtemps qu’on habite ici donc … Ce n’est pas vraiment moi qui gère la déco étonnamment. Moi, j’envahis juste l’espace en mettant des céramiques que j’aime bien un peu partout, c’est tout. J’aime bien quand c’est rangé, quand il n’y en a pas partout et qu’on a des espaces de vie où l’on peut respirer un peu, et en même temps, j’ai plein de petits objets en céramique que j’achète et que j’ai envie de voir sur les étagères. Mon copain, lui, veut des animaux et des jeux Nintendo un peu partout. Il faut arriver à tout concilier, un peu d’univers de pop culture, et un peu d’artisanal et de céramique.
Quel est votre dernier achat déco ?
Un petit refuge miniature sous cloche fabriqué par l’ébéniste Thibaut Malet à Montpellier. Son travail empreint de son amour pour la montagne me rappelle mes randonnées dans les Alpes. Je suis toujours en admiration devant la finesse et la minutie de son travail.
Et votre prochain, demain ou dans 10 ans ?
Sans doute de la céramique ! Quelqu’un que je n’ai pas encore rencontré et sur lequel je vais flasher !
Je crois beaucoup à l'entraide entre créateurs : vous nous recommandez des artisans ou entreprises qui valorisent le savoir-faire français et que vous aimez ?
Oui j’aurais des centaines d’artisans talentueux à recommander ! Par exemple, parmi les céramistes, j’apprécie beaucoup les céramiques de :
– Léa Daviller qui travaille au sein de l’atelier partagé TERREMOTO à Paris, dans le 13ème
– Julia Gilles qui travaille la réduction du grès au four à gaz à Pont-de-Barret (07)
– Alexis Carpentier qui mêle l’univers du Graph avec celui de la Céramique à Vallauris (06)
Un secret d'alcôve à nous partager pour conclure ?
Et non, mystère 😉 Allez si, je vais bientôt ouvrir un nouvel atelier à La Rochelle (17).
Vous pouvez retrouver le travail de Jonathan Reynaud à la Galerie MEKANOVA (Cannes), chez ETCA Concept store (La Rochelle) ou encore chez Good Design Store (Nice et Marseille). Et sans doute bientôt sur Alcôve 😉
Et si vous voulez découvrir un autre portrait d’artisan (d’artisane en l’occurrence), je vous conseille celui de Marie-Anne Saint-Hubert.
Photos @Nathanaël DJIMBILTH (Aeterno Praesenti Photography)